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Photo, Raymond et Marie-Louise Escholier devant la cheminée

A Malaquit

[Elle] a apporté deux fauteuils de paille ; elle ôte l'écran qui bouche la cheminée et jette des broutilles entre les hauts chenets de cuivre pour le cas où il ferait frais le matin.

Raymond et Marie-Louise Escholier, Cantegril

 

Il y a toujours des Pyrénées. Si diverses, si variées, si contrastées qu'à tel touriste parisien en partance, nous dit-il, pour les Pyrénées, on ne peut s'empêcher de demander : "Lesquelles ?".

Raymond Escholier, Mes Pyrénées, de Gavarnie au Canigou

Les Pyrénées dont nous parlons ici sont celles qu'on aperçoit depuis les côteaux de Sibra, aux environs de Mirepoix.

Côteaux, Pyrénées en arrière-plan

Cliché personnel

Les Pyrénées se dessinent en camaïeu sur le ciel, elles sont là-bas, debout, pâles, blanches, décolorées comme des fantômes et pourtant radieuses.

Marie Escholier, Les saisons du vent

Mirepoix, c'est loin de Paris et, à vol d'oiseau, tout près de l'Andorre et de l'Espagne.

Une petite ville alignée au cordeau comme un jardin à la française, la tuile rose des toits épousant le vert tendre des platanes.

Raymond Escholier, Mes Pyrénées, de Gavarnie au Canigou

Située dans le département de l'Ariège, à la lisière de l'Aude, Mirepoix, autrefois fief des seigneurs de Lévis, a conservé intacts les couverts de la Grand'Place, ornés de figures sculptées, d'inspiration grotesque et fantastique.

Mirepoix, Maison des Consuls
Carte postale ancienne

Au centre de la Grand'Place, la cathédrale Saint-Maurice, dont la nef, qui a une portée de 22 mètres, est l'une des plus vastes de France. L'une des chapelles abrite un pavement de faïence vert et jaune, orné en son centre d'un labyrinthe circulaire, - le dernier, dit-on, qui fut jadis posé au sol dans une église d'Occident. Au centre du labyrinthe, on reconnaît le Minotaure.

Photo, labyrinthe de la cathédrale de Mirepoix

L'édifice date des XIIIe et XIVe siècles. Le clocher, avec sa flèche à huit pans, s'élève si haut dans la plaine qu'on l'aperçoit à quatre lieues à la ronde. Il constitue l'âme du paysage qui se déploie au pied de Malaquit, propriété familiale où Marie-Louise Escholier aimait vivre toute l'année, et où Raymond Escholier, son époux, venait périodiquement la rejoindre, quand ses fonctions de conservateur des musées de la ville de Paris et ses nombreuses activités éditoriales lui en laissaient le loisir. Délaissant la tenue de l'homme du monde, Raymond Escholier à Malaquit portait le béret.

Carte ancienne, zone de Malaquit et Mirepoix

Cassini, carte du pays de Mirepoix, XVIIIe siècle

Née à Malaquit en 1876, Marie-Louise a vécu là une enfance heureuse. Elle y a forgé une sensibilité accordée aux ciels, aux saisons, aux prairies en pente. Elle s'y est initiée aux soins des bêtes, aux travaux des champs. Elle sait de naissance vivre à la campagne, elle parle occitan. Elle tirera de ce fonds Cantegril, roman publié en 1921, écrit en collaboration avec son époux.

Couverture de Cantegril, un jeune homme sous les couverts

Edition Ferenczi, 1925, bois gravé, anonyme
Cliché personnel

De beaux champignons fleurant encore la terre mouillée ; un levraut roux pris au collet ; des épis de maïs que Bélou suspendait en guirlande au plafond ; des châtaignes luisantes, couleur d'acajou. On les mangeait à la veillée...

Ponctué de festins rustiques, le récit fait ressortir le charme du parler languedocien, plus spécialement dans ce chapitre insolite où, ancien prisonnier de guerre revenu de Russie, Bartissol, professeur, raconte comment, là-bas, il était heureux d'enseigner le français aux enfants d'une famille cosaque et comment un Français, un homme de Paris, vint chambarder son bonheur.

Sans s'être annoncé, cet imbécile nous arriva, un beau matin.

M. Ivanovitch lui annonça une bonne surprise. Il fit venir ses garçons et leur commanda de saluer le Parisien en français.

- Adisciatz, moussu, dit Boris.

- La santat bouï ba toutchoun pla ? demanda Nikita ?

Et Dmitri, brave comme un sou, lui offrit à boire :

- Bouletz la goutto ?

M. Ivanovtch se frottait les mains ; l'étranger ouvrait la bouche et secouait la tête, comme un âne, lorsqu'on lui frotte les oreilles.

Depuis Malaquit, Marie-Louise Escholier entretient avec son époux une correspondance régulière. Elle rédige cette dernière d'une plume vive et souple qui a l'élégance et le naturel du grand style. C'est à l'évidence une épistolière hors pair.

Attentive aux réalités quotidiennes, Marie-Louise Escholier consigne dans sa correspondance toutes sortes d'informations relatives à la gestion du domaine de Malaquit, aux petits événements familiaux, au rythme des saisons, à la vie rurale. Cette correspondance a été conservée. Elle constitue un passionnant témoignage sur une famille, un domaine, une contrée, de 1914 aux années 50. Bernadette Truno, dans Raymond et Marie-Louise Escholier, de l'Ariège à Paris, un destin étonnant (éditions Trabucaire), retrace magnifiquement la vie du couple, à la lumière de ce riche legs épistolaire. Elle cite, entre autres, de nombreux extraits de la correspondance de 14-18, adressée par Marie-Louise, depuis Malaquit, à Raymond, engagé volontaire dans l'Infanterie, puis incorporé dans l'armée d'Orient. Drôle et bouleversant, le journal de guerre de Marie-Louise, intitulé Les Saisons du vent et couvrant la partie 1914-1915, a été publié en 1986.

Tandis qu'elle se soucie de garantir aux enfants la vache et le bon lait, la poule et les bons oeufs, les bûches de chêne et les bons feux, les lapins, le gros Porcinet, Marie-Louise écrit à Raymond, qui attend une permission :

Il me tarde bien, petit homme, de vous savoir arrivé. J'ai assez des bois et des guitounes et de la boue et de la belle étoile.

 

Raymond et Marie-Louise Escholier étaient cousins, issus de deux vieilles familles de notables, installées à Mirepoix depuis le XVIIIe siècle. Raymond Escholier toutefois est né à Paris, rue des Abbesses, et restera toute sa vie un Parisien. Prudopedantissimo, l'avait-on surnommé chez les Pons-Tande, parents et alliés de Marie-Louise, à l'époque où il courtisait la jeune femme.

C'est à Mirepoix, puis sur les côteaux de Malaquit que Raymond conquiert le coeur de Marie-Louise. C'est à Malaquit qu'il revient, chaque fois que, las du tourbillon de la vie parisienne, il éprouve le besoin de se ressourcer auprès de Pénélope.

Raymond Escholier
Pastel, d'après une photo de 1942, (création personnelle)

C'est là qu'en 1940 il fait transporter les collections du Petit-Palais, dont il est le Conservateur depuis 1933, afin mettre les chefs-d'oeuvre du musée à l'abri de l'Occupant.

Suite à la mise à la retraite d'office de Raymond Escholier, et à la requête de Héron de Villefosse, adjoint et successeur de ce dernier, les oeuvres d'art stockées à Malaquit depuis 1940 repartent pour le Petit-Palais en 1943.
Le camion au gazogène, qui est en panne, a nécessité le recours à deux paires de boeufs.
Cliché de Claude Escholier

C'est là enfin qu'il se retire, de 1946 à 1956, lorsqu'après les années de guerre qui ont détruit son réseau de relations, il doute de pouvoir retrouver la moindre place dans un paysage culturel bouleversé. Il débute alors la rédaction de Mes Pyrénées, de Gavarnie au Canigou.

Raymond Escholier
Crayon (création personnelle)

Je songe tout de même qu'il ne faut pas vous enterrer pour moi, lui écrit quelque temps auparavant Marie-Louise. Vous avez encore de la jeunesse et de l'activité à dépenser. Je ne voudrais pas que vous eussiez plus tard des regrets, d'autant plus que je ne suis point éternelle. Dailleurs, si vous voulez consacrer chaque année quelque temps à Paris, j'irai avec vous, nous ne nous séparerons pas. Enfin, nous parlerons de ça tranquillement dans notre Thébaïde.

Marie-Louise Escholier meurt à Malaquit, le 21 mars 1956. Privé de celle qui en faisait l'âme, le domaine n'est plus l'Ithaque d'aucun Ulysse. Nommé Conseiller culturel de la Ville de Paris, Raymond Escholier ne reviendra jamais à Malaquit.

Raymond Escholier fut successivement journaliste à La Dépêche de Toulouse, Conservateur de la Maison de Victor Hugo, créateur de la revue Demain, Conservateur du Petit-Palais, découvreur de Marie Noël, confident de Matisse, ami du Général de Gaulle.

Il laisse une oeuvre extraordinairement abondante. Critique littéraire, il dépoussière l'image de Victor Hugo. Historien de l'art, il publie, entre autres, des ouvrages sur Daumier, Delacroix, Goya, Gros, Le Greco, et, en tant qu'ami de longue date, un beau témoignage sur Matisse, ce vivant.

Conservateur des Musées de Paris, Raymond Escholier a organisé d'importantes expositions, dont, en 1919, Le Rhin (oeuvre graphique de Victor Hugo) ; en 1935, Trésors du Musée de Grenoble (art moderne, français et italien) ; toujours en 1935, L'Art Italien de Cimabue à Tiepolo ; en 1936, Gros, ses amis et ses élèves ; en 1937, Les Maîtres de l'Art Indépendant (Picasso, Matisse, Bonnard, Maillol, Modigliani, Zadkine, etc.) - ces gangsters, disait à l'époque Camille Mauclair.

Affiche de l'exposition de 1937, créée par Matisse

A la faveur de l'exposition de 1937, Raymond Escholier croise le sculpteur allemand Arno Breker, qui l'invite à faire le voyage de Berlin.

Réponse de Raymond Escholier :

Monsieur Breker, si je vais à Berlin, je choisirai moi-même le moment et, de toute façon, je n'irai que lorsqu'il y aura des gens convenables dans le gouvernement de l'Allemagne.

Romancier à succès, couronné de prix pour les ouvrages écrits en collaboration avec Marie-Louise, Raymond Escholier écrit aussi pour le théâtre. En 1931, il donne à l'Odéon La Conversion de Figaro, et à l'Opéra Comique Cantegril, une adaptation du roman éponyme. A sa mort, en 1971, il laisse un opéra, intitulé Goya (musique de Tony Aubin). Goya sera joué à l'Opéra de Lille en 1974.

Indépendamment des ouvrages écrits en collaboration avec Marie-Louise, Raymond Escholier publie des romans de guerre - Le Sel de la terre (1924), inspiré de façon poignante par son expérience des tranchées, Mahmadou Fofana (1928), dédié à l'Armée d'Orient - ; puis, dans la veine espagnole, Sang gitane (1933) et Maripepa (1935) - deux histoires de femme fatale. Raymond Escholier, on l'aura deviné, était un homme couvert de femmes, - ses petites philothées, disait Marie-Louise. Mais il fut et resta le courtois desservant d'un culte à l'Unique.

Vois-tu, il n'y a jamais eu que toi, pour me parler ce langage de l'âme, pour me dépayser ainsi, bien loin de ce monde de boue, pour m'entraîner vers ces régions de l'éther où tu t'élèves si naturellement comme d'un coup d'aile.

Ambassadeur naturel de l'Ariège à Paris, pyrénéiste convaincu, Raymond Escholier a encouragé le travail des artistes méridionaux, en particulier celui du sculpteur André Abbal, rénovateur de la taille directe, qui résidait, non loin de Malaquit, à Carbonne. Il a obtenu que quatre oeuvres de Abbal figurent au Petit-Palais, lors de l'exposition des Maîtres de l'Art Indépendant, en 1937.

André Abbal, La Montagne
Saint-Gaudens, ville natale de l'artiste

Le groupe représente "l'Europe ayant dompté son séducteur Jupiter transformé en taureau".

Membre actif de l'Académie toulousaine des Jeux Floraux, Raymond Escholier a également consacré des ouvrages à Montségur et au catharisme.

 

Marie-Louise et Raymond Escholier reposent tous deux dans le vieux cimetière de Mirepoix, au pied de la petite église de l'Immaculée Conception.

Monument funéraire de la famille Escholier

Cliché personnel, juillet 2005

Là-haut [Malaquit], c'est si près de Saint-Gauderic [Mirepoix] que le trajet n'est qu'une promenade. Vous passez le pont de sept arches, vous traversez la route pour suivre un chemin pierreux qui tourne brusquement et vous y êtes.

De là, vous entendez les heures tomber en tintant du haut clocher, roussi par le soleil ; vous voyez monter les fumées des feux de la ville.

Raymond et Marie-Louise Escholier, Cantegril, Le soir d'un beau jour

 

Bibliographie :

Bernadette Truno, Raymond et Marie-Louise Escholier, de l'Ariège à Paris, un destin étonnant, éditions Trabucaire, Canet en Roussillon, 2004

Claudine Pailhès, Mirepoix et ses environs, coll. Mémoire en Images, éd. Alan Sutton, 2004

Raymond et Marie-Louise Escholier, Cantegril, éd. Ferenczi, 1925

Marie-Louise Escholier, Les Saisons du vent, journal mai 1914-août 1915, éd.Garae/Hésiode, 1986.

 

Crédits iconographiques :

A Malaquit, devant la cheminée, Raymond et Marie-Louise, in Raymond et Marie-Louise Escholier, de l'Ariège à Paris, un destin étonnant, p. 160.

Extrait de Raymond et Marie-Louise Escholier, de l'Ariège à Paris, un destin étonnant, éditions Trabucaire, Canet en Roussillon, 2004. Photographies appartenant à la famille Escholier, reproduites avec l'autorisation de l'éditeur.

Mirepoix, Maison des Consuls : carte postale ancienne.

Labyrinthe de la cathédrale de Mirepoix.

Carte du pays de Mirepoix.

Le départ des oeuvres d'art en 1943 : cliché de Claude Escholier.

Extrait de Raymond et Marie-Louise Escholier, de l'Ariège à Paris, un destin étonnant, éditions Trabucaire, Canet en Roussillon, 2004. Photographies appartenant à la famille Escholier, reproduites avec l'autorisation de l'éditeur.

Affiche réalisée par Fernand Mourlot, à la demande de Raymond Escholier pour l'exposition Les Maîtres de l'Art Indépendant.

Portraits de Raymond Escholier : création personnelle à partir d'une photographie datée de 1942.

 

 

 

 

Juillet 2005