Dora Maar photographe et peintre

 

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Dora Maar, Rue d'Astorg

Dora Maar, 29, rue d'Astorg

 

Séduite puis abandonnée par Picasso, Henriette Theodora Marcovitch, ou Marcovich, dite Dora Maar, fait partie de cette longue liste d'inconnues célèbres dont la vie et l'oeuvre ont été oblitérées par celle du Grand Homme.

Dora Maar (1907-1997) : Maîtresse de Pablo Ruiz Blasco y Picasso (Picasso) en 1936, lit-on pour solde de tout compte sur Insecula, site de référence en matière d'Histoire de l'Art !

Dora Maar, telle qu'en elle-même, fut successivement photographe et peintre. Trop souvent attribuée à Man Ray, auprès de qui la jeune femme travailla initialement, son oeuvre photographique n'a bénéficié que tardivement de la reconnaissance attendue. Le style de Dora Maar est pourtant d'une originalité profonde. Il reste, aujourd'hui encore, insolite, dérangeant.

Je ne parlerai pas ici de la trop fameuse femme qui pleure, à la fois immortalisée, chosifiée, et déconstruite par Picasso, mais de l'artiste douée d'un regard mystérieusement aigu, qui révèle l'inquiétante étrangeté du réel, le poids de la vie, l'angoisse d'être.

Dora Maar, Père Ubu

Père Ubu, 1936

Arrivée de Buenos Aires en 1920, Dora Maar est la fille d'un architecte croate qui a signé nombre d'édifices de la capitale argentine, autre autres l'immeuble Mihanovich, conçu à la demande du puissant armateur du même nom. Grandie à l'ombre des coupoles (cupulas) qui surplombent la ville de Buenos Aires, Dora Maar dédie son oeuvre photographique à l'expression d'une verticalité angoissante dans laquelle, par effet de contre-plongée, elle recrée, en même temps qu'elle en condense et déplace les indices, la muette commination des cupulas.

Immeuble Mihanovich, Buenos Aires

Alicia Dujovne Ortiz, dans Dora Maar - Prisonnière du regard, évoque superbement cette configuration du regard primitif :

Tout habitant de Buenos Aires connaît cet édifice. Son côté fait penser au flanc d'un bateau. Ses sept étages se terminent par un mirador avec des instruments d'optique d'où Mihanovich observait le mouvement portuaire. Le pinacle est un globe formé de bandes de fer verticales ; placée tout en haut, une planète à demi creuse, d'aspect giratoire, symbolise la possession du monde par le chef d'entreprise. La nuit venue, éclairé de l'intérieur, le globe semblait regarder de là-haut, doré, énorme.

Pour d'autres vues de l'oeuvre architecturale de Joseph Marcovich, consultez gobBsAs, Direccion General de Patrimonio, Bases de Datos de la DGPat. Dans Barrio, sélectionnez Indistinto , dans Tipo, Indistinto. Dans Texto, inscrivez Marcovich. Puis cliquez sur Buscar.

Dora Maar, vue de Paris, 1930

Dora Maar, Paris, 1930

Voici l'un des premiers clichés de Dora Maar qui ait été conservé. Il s'agit encore d'un cliché d'amateur. On note la présence du grillage, qui donne à voir, mais impose la distance, d'où interdit l'accès au paradis.

Dora Maar, Grillage

Voici également le premier autoportrait signé Dora Maar. Il date de 1920. Là encore, quelque chose s'interpose entre l'oeil et la chose vue, - quelque chose qui laisse voir, mais signale le caractère infranchissable de la distance spéculairement maintenue ouverte entre le sujet de l'objet. Les pales du ventilateur menacent le visage, implicitement exposé aux outrages de la machine à broyer.

Dora Maar, Autoportrait au ventilateur

Arrivée en France en 1920, Dora Maar va et vient entre Paris et l'Amérique du Sud jusqu'en 1930. Elle dédie nombre de photos aux navires, qui font la navette entre les deux rives, tentent de conjurer le devisement du monde, la disposition en vis-à-vis du sujet et de l'objet, du Moi et du Soi.

Dora Maar, Dans la Mer du Nord ; Pétrole Hahn

De gauche à droite : Dans la mer du Nord ; Pétrole Hahn

D'abord assistante de Man Ray, Dora Maar crée en 1935 son propre studio, 29, rue d'Astorg. Elle travaille avec un appareil de marque Rolleiflex. Certains de ses clichés, qu'on oublie de lui attribuer, sont devenus des icônes de la légende surréaliste.

Dora Maar, Coquillage

Untitled, 1934

Dora Maar, Le couvert en fourrure

Meret Oppenheim - Dora Maar, Le couvert en fourrure, 1936

Après avoir réalisé des photos de mode sous la direction de Harry Ossip Meerson - portraitiste de Marlène Dietrich puis du tout Hollywwod - et des photos de nus pour les revues de charme, Dora Maar à partir de 1932 se consacre à son oeuvre personnelle. On constate toutefois la présence d'invariants stylistiques qui signent d'emblée l'ensemble de ses travaux.

Dora Maar, Assia et son ombre

Assia et son ombre, sa soeur noire

Dora la montre accompagnée de son ombre. Obèse, gigantesque, plus réelle et charnelle que le corps lui-même, c'est une soeur noire qui lui aurait poussé à la manière d'un contrepoint, telle une seconde voix pâteuse et obscure à côté du timbre d'un soprano.

Ombres, déviations, torsions, effets de plongée, de contre-plongée, de suspension, de renversement, de chute, liés à l'angoisse de la verticalité, dramatisent, dans l'oeuvre de Dora Maar, la vision du réel. Les critiques, à propos de cette dernière, parlent de gauchissement du regard, caractéristique d'une sorte de baroquisme tragique. Ce gauchissement affecte, non seulement la vision de la ville, oblique, pentue, abyssale, mais aussi celle des êtres qui la hantent. Robert Desnos publie à la même époque Corps et biens, autre manifestation de l'esthétique du naufrage.

Dora Maar, Vues de Paris

Dora Maar, Suspensions

Dora Maar, Assia au masque blanc

Assia au masque blanc, 1934

Dora Maar, Mercado de la boqueria

Barcelone, Mercado de la boqueria, 1934

Dora Maar, Enfant qui fait le poirier dans les rues de Paris

Paris, Untitled, années 30

Dora Maar, Homme qui plonge la tête dans une bouche d'égoût

Paris, Untitled, années 30

Mais le paquet, l'obsession du paquet !, note Alicia Dujovne Ortiz, dans Dora Maar - Prisonnière du regard. Le ballot informe d'une vieille chiffonnière. Ou le chaton dissimulé dans une sorte de fourreau qu'un adolescent au regard farouche serre contre sa poitrine. Ou les deux vendeuses de billets de loterie, l'une devant la Midland Bank, l'autre devant la Lloyd's Bank; toutes deux enveloppées dans des capes comme si elles-mêmes étaient des paquets, toutes deux agrippées chacune à une petite valise qu'elles serrent aussi contre leur poitrine, et toutes deux, comme le gamin avec le chat, montrant dans le regard la méfiance la plus sauvage : un regard inquiet, torve, à force d'avoir peur.

Dora Maar, Gamin au chat

Paris, Untitled, années 30

Dora Maar, Mendiant aveugle

Espagne, Mendiant aveugle, 1934

Dora Maar, Paquet humain

Paris, Untitled, 1935

Mais le paquet, l'obsession du paquet ! Animal ou humain, nu ou empaqueté, quelque chose - viande, chair, ou autre - se donne à voir, dans son altérité absolue, comme l'insensé radical. La photographie scelle ici le triomphe de la vision explosante-fixe.

Condensant et déplaçant à Barcelone, puis à l'Orangerie du château de Versailles l'inquiétante étrangeté de sa vision du réel, Dora Maar réalise, de 1932 à 1936, une série de variations sur le thème obsédant du corps qui s'arque à l'envers. Déjà illustré en 1932 par une photo prise à Barcelone - photo représentant un gamin contorsionniste qui, arc-boutant ses jambes contre la base du mur, semble, vu de face, se maintenir en équilibre sur la tête -, puis en 1935 par la photo ci-dessus, prise sans doute 29, rue d'Astorg, ou par la photo dite du Simulateur, un garçon qui s'arque à l'envers, les yeux blancs, entre des voûtes inversées, le thème du corps renversé trouve son expression la plus mystérieuse sur la photo intitulée Silence (1935-1936).

Dora Maar, Silence

Silence, 1935-1936

La voûte de l'Orangerie du château de Versailles servit plusieurs fois à Dora Maar pour créer une structure d'hélice ou de vortex. Elle place sur cette voûte renversée trois personnages qui dorment, l'un à peine visible, l'autre une petite fille, et le troisième une femme au nez fort, aux lèvres entrouvertes, tous trois étendus sur la pierre courbe.

Je ne puis m'empêcher de voir dans Silence quelque chose comme un prolongement de la photo intitulée Père Ubu. Le vortex implique dans son déploiement, à partir du personnage à peine visible - analogon du Père Ubu, dont on dit que, pour le réaliser, Dora Maar utilisa un foetus de tatou -, la petite fille et la femme, i. e. les figures successives de la métamorphose à quoi le fatum biologique destine Dora et ses soeurs in nuce. Je ne puis m'empêcher de voir dans la femme au nez fort de Silence une sorte de préfiguration du du visage futur de la Dora Maar de 1936. Le futur vient, même quand on dort.

Dora Maar, Autoportrait, 1935

Dora Maar, Selfportrait, 1935

L'un des clichés des années 1931-1934 résume la mélancolie d'un être nativement solitaire, qui se retirera plus tard sur la pointe des pieds. Il augure en tout cas, via le dépérissement du sujet, l'adieu ultérieur à la photographie.

Dora Maar, Empreintes de pieds sur le sable

Empreintes de pieds sur le sable, 1931-1934

A partir de 1936, date où elle débute sa liaison avec Picasso, Dora Maar cesse progressivement toute activité photographique. Lee Miller, autre pionnière de la photographie au féminin, réalise en revanche nombre de portraits de Dora.

Voici Dora Maar durant l'été 1936, à Mougins.

Picasso et Dora Maar à Mougins

Picasso et Dora Maar à Mougins, 1936

Dora Maar commence dès lors à peindre, d'abord sous l'inflence de Picasso, puis, de façon de plus en plus résolue, sous la dictée de la nécessité intérieure. Intitulée Cubist Still Life, une huile sur toile témoigne du style de cette période. On retrouve, de façon plus discrète, la déviation des lignes verticales.

Dora Maar, Cubist Still Life

Cubist Still Life

Dora Maar, City Landscape

City Landscape, 1944

Après la catastrophe psychique de 1945, la cure d'électrochocs à Sainte-Anne, l'officialisation de la rupture avec Picasso, Dora Maar change de style. Elle peint essentiellement des vues du bord de Seine ainsi que des paysages du Lubéron.

Ce n'étaient plus les formes anguleuses ou géométriques et la matière sèche et épaisse copiées sur Picasso. Les choses étaient à présent transparentes et pleines de vent. C'était comme si la matière ignée qui la remplissait était devenue bleu pâle, s'était allégée mais qu'elle restât à l'intérieur de ses limites. Ses natures mortes et ses arbres en forme de ballons semblaient gonflées par un souffle, autrement dit, un esprit.

Dora Maar, Paysage du Lubéron

Paysage du Lubéron, legs posthume

A partir de 1950, Dora Maar s'enferme chez elle, rue des Grands-Augustins. On ne sait plus rien de son travail de peintre. On a longtemps cru qu'elle l'avait abandonné. On le présumait de toute façon médiocre, voire d'ordre purement thérapeutique.

Après la mort de Dora Maar en juillet 1997, la surprise est venue, en 1998-1999, de la dispersion des biens accumulés dans l'appartement de la rue des Grands-Augustins. On découvre alors la richesse de l'oeuvre ultérieure à 1950.

Dora Maar, gouache colorée, dominante rouge

Composition, gouache , legs posthume

 

Quelques unes des oeuvres représentatives de la dernière période de Dora Maar sont accessibles en ligne : des gouaches, chez Klaus Huber ; des encres, des huiles, chez Borghi. Elles sont admirables.

 

Dora Maar, marine

Untitled, huile, legs posthume

 

Bibliographie

Alicia Dujovne Ortiz, Dora Maar - Prisonnière du regard
Ouvrage traduit de l'espagnol (Argentine) par Alex et Nelly Lhermillier
Editions Grasset & Fasquelle, Livre de Poche, 2005
Toutes les citations supra sont tirées de cet ouvrage.

 

 

 

2005